Extrait d'une page du Journal de l'Enervé

N.B. : aucune correction n'a été effectuée par rapport à l'original

 

  Vais-je tenir? Plus les jours passent, plus il me semble que je deviens ce Pierrot triste qui m'a si amusé autrefois. Je préférais le clown triste au clown heureux, sans doute parce que le sourire du premier me touchait plus que le rire du second. Si je devais quitter la vie, la raison en serait simple: une tristesse inexplicable, le sentiment de n'être pas aimé des gens ou d'être mal-aimé, comme on dit mal compris. Le sentiment d'être impuissant à faire évoluer mon destin de façon déterminante, le sentiment de ressentir trop pleinement les choses, jusqu'à la douleur, car hélas chaque chose me concerne. Un pouvoir de ressentir immense, dont je me passerais volontiers, et une terrible impuissance à jouir, ce que j'aimerais pourtant tant posséder. Jouir des choses, des gens, sans chercher à vouloir en déceler la faille, la fracture dans leur parole, dans leurs gestes et dans leur bonheur. Tant à confier, tant à donner pourtant... J'aime la vie, oui, j'aime la vie, et pourtant, suis-je capaable de la vivre, de la dominer, la maîtriser comme il conviendrait. J'en veux à la terre entière, parce que nulle part je ne vois des frères. La douleur est pour eux pudique, alors que je ne peux que l'extérioriser. Idéalisme, je n'en sais rien. Sans doute... Mais à quel prix je le paie. On me dit que la vie me gâte. Qu'elle me donne beaucoup. En apparence. Est-ce qu'une belle gueule, un cerveau qui marche bien et des nerfs à fleur de peau sont suffisants pour affronter ce laps de temps qui nous délimite? Ne faut-il pas davantage être doté du don de satisfaction? Chaque être, dès qu'il me parle, prend l'apparence d'une machine s'il ne me confie pas ces joies et ses peines. Sans malheur et bonheur, l'individu humain n'est qu'un automate blindé, intransperçable. Dites-moi, dites-moi tout! Vous qui vous dites mes amis, so-called friends, dit Mark dans trainspottings, pourquoi vous cachez vous sous vos sourires trompeurs, qui donnent le change mais ne donnent rien? Moi j'aimerais vous donner tout mais lorsque je vous donne, vous ne voyez que la douleur ou la folie. Et pourtant, ce ne sont que les plus sincères des tremblements de mon âme. On ne choisit ses modes d'expression qu'au théâtre, ce que n'est précisément pas la vie, car si nous avons tous un rôle, nous n'avons pas le " lot " attribué à chaque personnage, c'est-a-dire son destin. L'interprète sait son rôle jusqu'au bout; l'individu le balbutie et en ignore le point d'aboutissement.

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